Sombre dimanche pour l’Europe. Plus que les résultats en eux-mêmes, ce dont il s’agit de s’inquiéter est bien cette abstention qui ne cesse n’augmenter à chaque consultation sur l’Europe.
L’Europe étrangère à elle-même, l’Europe qui ne parle pas aux Européens, l’Europe qui reste ce « machin », cette nébuleuse lointaine dont aucun gouvernement jusqu’ici n’a pris la peine de la signifier et de la commenter dans ce qu’elle peut apporter comme espoirs et novations face à des démocraties fatiguées par des lustres de conduites consuméristes vides de sens.
Les Européens se sont abstenus, en signifiant par là même que cette Europe du libre échange, cette Europe livrée à la concurrence et aux dérégulations de tous poils, n’est pas celle qu’ils appellent de leurs vœux : Celle d’une Europe plus sociale, une Europe qui protège autrement que dans les effets d’annonce, une Europe capable de parler d’une seule voix dans le concert des nations, une Europe enfin portant au monde la voix d’une démocratie apaisée et pacifique.
Le grand vainqueur dans cette consultation boudée par les Européens demeure donc le PPE, le parti populaire Européen auquel appartient l’UMP. Autant dire qu’il reste peu d’espoir pour une autre Europe, une Europe plus juste et plus solidaire, une Europe attentive à la parole de ceux qui aujourd’hui comme hier ont voté avec leurs pieds.
Alors oui si « L’Europe veut, l’Europe peut ». Encore faudrait-il que cette Europe qui se paye de mots, puisse s’avancer à visage découvert, et pour des considérations autres que de basse politique.
Où sont les grands desseins des pères fondateurs de l’Europe ? L’Europe de la défense ? L’Europe d’un capitalisme maîtrisé au service du développement des territoires ? L’Europe politique pour plus de sécurité, plus de droits des personnes et plus de protection sociale ? L’Europe puissance pour faire entendre la voie de la démocratie et de la justice sociale partout dans le monde ?
Au lieu de cela nous avons eu droit à une campagne en demie teinte, pour ne pas dire confidentielle, où l’essentiel pour les partis au pouvoir, aura été de réduire l’Europe à des slogans tout aussi éculés que vide de sens, à des batailles d’images où l’improbable des propos n’avait d’autre visée que de taire les effets d’une crise dont on sait qu’elle va durer en enrichissant les riches et en rendant les pauvres encore plus démunis.
Et dans cette bataille d’images, où l’essentiel des médias n’en finissait pas de commenter les taux d’abstentions, les « publicitaires » auront joué de toute leur puissance.
A commencer par notre pays, où l’on aura pu admirer cette mise en scène, savamment orchestrée autour de la personnalité d’un président candidat, avec ses apparitions millimétrées, calées aux impératifs du calendrier électoral.
Avec cette apothéose d’une fin de campagne scotchant plus de 8 millions de télés/spectateurs aux images fortes du film « HOME » financé par le groupe PINAULT, images relayées le lendemain, veille d’élection, par la venue largement commentée d’un président OBAMA superstar se recueillant sur les tombes des GI à Colleville sur mer, accompagné comme il se devait par un président SARKOZY radieux…
Dans le genre il paraissait difficile de faire mieux !
Que dire également du cynisme de ces médias, s’étonnant du peu d’appétence des électeurs pour la cause Européenne, là où leur pouvoir a superbement ignoré la nécessité d’expliquer sinon d’informer sur les enjeux d’une Europe qui ne soit pas seulement celle d’un grand marché !
Faut-il voir dans cette attitude, « une faute de goût » ? Une autocensure sur les sujets qui fâchent ? Un désintérêt pour tout ce qui ne participe pas de l’audimat ?
Sans doute les trois à la fois, si l’on songe que les médias Français, plus que partout ailleurs en Europe, sont pratiquement entre les mains de quelques grands de la finance, les Pinault, Arnault, Lagardere, Dassault, Bouygues, Hersant.
De facto, si posséder « un journal ou une télévision permettent aussi d’associer à une fortune, des mots et des images qui donnent du sens à l’arbitraire d’un héritage », il permet aussi et surtout « l’intériorisation par les médias eux-mêmes de l’ordre établi par la reproduction des élites » (1).
Et comme au final les médias ne sont vraiment contestables que par eux-mêmes, les débats démocratiques qu’ils relayent ne peuvent l’être que dans l’adoubement des principes premiers de ce qui génère le cash et les intérêts bien compris de ceux qui possèdent l’argent et le pouvoir de l’argent.
Dans cette déclinaison du CAC 40 à l’aune de la presse et de la télévision, on se souviendra que Olivier DASSAULT, président du groupe VALMONDE (Valeurs actuelles, Journal de la finance) n’a eu de cesse, une fois élu député UMP de l’Oise, de déposer des propositions visant à supprimer l’ISF. (Il faut dire que l’exemple venait de haut avec un Sylvio BERLUSCONI, président de Mediaset avec Italia1, Canal 5… qui sitôt son arrivée au pouvoir, avait baissé les droits sur les successions). (2)
Et pour en revenir aux scores de ces dernières Européennes, au delà des résultats qui auront vu le Parti Socialiste payer cash ses divisions et son manque de lisibilité, au-delà d’un parti au pouvoir qui conforte sa marque en s’appuyant sur la gestuelle présidentielle, ce que l’on retiendra de ces élections, c’est l’énorme bon sens du peuple Français qui, en s’abstenant massivement, a voulu signifier qu’il était las des joutes stériles et des politiques spectacles qui encombrent l’audimat, mais qu’il n’était non plus pas dupe, de la commédia del arte dont on étale le spectacle au nom de la modernité et de la nécessité d’avoir à renouveler les formes de la démocratie.
Francis Alexis HAMMER
(1) «Médias Français, une affaire de famille » Marie BENILDE. Le Monde diplomatique novembre 2003.
(2) Voir en France la loi TEPA signant l’arrivée au pouvoir du président SARKOZY.