A peine sortie de l’adolescence, Laurence Rossignol se lance dans le syndicalisme étudiant avec l’Union nationale des étudiants de France (Unef), et dans le combat politique, avec la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). Puis en 1981, elle rejoint le Parti Socialiste. Elle y est alors régulièrement investie secrétaire nationale, notamment aux droits des femmes, et participe à la fondation de SOS Racisme en 1984. Aujourd’hui secrétaire nationale chargée de l'environnement, et vice-présidente du Conseil régional de Picardie, elle nous expose les positions environnementalistes du PS en vue des élections régionales.
developpementdurable.com : Comment êtes-vous devenue secrétaire nationale du PS chargée de l’environnement ?
Laurence Rossignol : J’étais secrétaire nationale chargée des droits des femmes avant le congrès de Reims. Et quand Martine Aubry est devenue Première secrétaire, nous avons discuté ensemble des responsabilités qu’elle voulait me confier. Personnellement, j’avais envie de changer de secteur, tout en restant dans une fonction transversale. Une fonction qui mêlait à la fois les questions économiques, sociales, et sociétales. L’environnement est, d’une part, un espace de pensée et de connaissances très vaste et un véritable levier de transformation de la société, d’autre part. La difficulté de la fonction est la dépendance et la juste distance avec les experts et les scientifiques.
dd.com : Votre engagement féministe est connu. Vous avez notamment été secrétaire nationale du PS chargée des droits des femmes et de la parité. Ce combat est-il pour vous supplanté par la cause écologiste ?
L. R. : Pas du tout. On vit dans un monde où se combinent les inégalités, et où de nouveaux enjeux se profilent pour la gauche. L’inégalité homme-femme en est un. La mutation environnementale de la pensée socialiste en est un autre. Ils ne sont pas concurrents. Ils arrivent même parfois à être complémentaires et à se croiser dans le débat. La lutte contre les inégalités et la conversion environnementale sont des sujets qui s’articulent.
dd.com : Interviewé il y a quelques semaines dans nos colonnes, Eric Loiselet a justifié son départ du poste que vous occupez actuellement par l’incapacité du PS à élaborer un nouveau modèle économique, social et écologique. « Il considère que la croissance est l’horizon indépassable du projet politique qu’il faut proposer aux Français », a-t-il notamment déclaré. Qu’en pensez-vous ?
L. R. : Il est bien normal qu’Eric Loiselet justifie son passage chez les Verts. Il ne peut pas donner d’autres explications que celle de l’habillage politique. Je prends cela comme une critique de circonstance qui est nécessaire à M. Loiselet lui-même.
Après, il est clair que les questions relatives à la nature de la croissance sont au cœur de la réflexion collective. Les socialistes, eux, ne sont pas des décroissants. Nous sommes favorables à la croissance, même si je connais bien ses limites dans un monde fini. Mais la question centrale, c’est la création et la redistribution des richesses. Peut-on aujourd’hui s’enrichir sans productivisme prédateur pour l’environnement ? La réponse est oui. Et doit-on redistribuer autrement ? La réponse est encore oui ! Ce que nous avons donc à travailler, ce sont les nouveaux outils industriels, notamment, de la croissance de demain, et les choix que nos sociétés auront à faire. Nous entrons en effet, à mon sens, dans l’ère des choix, c’est-à-dire que nous passons de la boulimie (de consommation, de production, d’accumulation de richesses pour certains) à une nouvelle période qui va être celle des décisions équilibrées.
Ma critique de la société de consommation et du consumérisme est ferme : nous vivons dans une société qui propose comme seul projet de vie aux individus l’accumulation de biens matériels. Un projet qui ne garantit pas un bonheur équivalent au volume de biens acquis. Avec lequel les gens ne sont pas heureux. Nous devons donc conclure que ce modèle de développement a échoué. C’est un échec du point de vue environnemental, mais aussi sur le plan de l’épanouissement personnel. Il nous faut inventer autre chose. Repenser nos façons de produire et de consommer pour tourner le dos à l’addiction de l’achat et émanciper l’individu. Développer davantage le monde infini, celui de la création intellectuelle et culturelle, que le monde fini, celui de l’extension permanente de biens de consommation jetables et rapidement obsolètes... sans que cela passe par la régression ou la pénurie.
dd.com : Quels sont les grandes mesures proposées par les candidats socialistes aux régionales en matière de protection de l’environnement ?
L. R. : Nous avons pris position pour des éco-régions : celles-ci seraient dotées de plans climat régionaux et auraient pour objectif de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités de la Région.
Ensuite, nous souhaitons le développement des transports collectifs. Ce qui fait notamment notre différence avec les Verts, c’est notre rapport aux déplacements : nous considérons que le droit à la mobilité est un droit du 21ème siècle qu’il faut garantir à chaque individu. Car la mobilité, c’est l’émancipation, la capacité à se former, à travailler, à s’ouvrir à l’autre. Nous sommes opposés à tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à un Malthusianisme des déplacements. Mais il est évident qu’il faut changer nos rapports au transport. Nous devons nous orienter vers davantage de déplacements collectifs et moins de déplacements individuels. Ce qui veut dire que la Région, qui est l’autorité organisatrice des transports ferroviaires, doit continuer à investir fortement dans la qualité, la fréquence et l’offre en la matière.
Tous les candidats socialistes s’engagent également à développer les énergies renouvelables, à soutenir l’agriculture biologique (les Régions ont une compétence en matière d’économie agricole), et à accompagner la mutation industrielle vers une économie à haute valeur ajoutée, parfois baptisée « chimie verte ».
dd.com : Depuis leurs résultats aux européennes, les Verts ne veulent plus être la force d’appoint du PS et souhaitent faire cavalier seul. Que cela vous inspire-t-il ?
L. R. : Les Verts ont opté pour des listes autonomes aux élections régionales. Ils l’ont fait pour des raisons que je considère politiciennes, c’est-à-dire qu’ils ne l’ont fait ni sur la base des bilans, ni sur celle des programmes. Leur choix est à la fois indépendant du travail qui a souvent été fait ensemble au sein des conseils régionaux, et du travail qui se fera demain... toujours ensemble si la gauche conserve ses régions. Ce que je trouve regrettable dans cette position, c’est qu’elle nous a privés collectivement d’un débat sur les politiques environnementales dans les régions.
A l’issue du scrutin, Les Verts sauront par là à quel rapport de force électoral ils peuvent prétendre. En revanche, ce qui n’aura pas avancé, c’est le débat collectif sur la mutation environnementale de nos politiques régionales, ce qui nous unit ou nous sépare sur ce point. D’ailleurs, je constate que la stratégie des Verts de présenter des listes autonomes ne s’accompagne pas d’une forte polarisation des élections autour des questions de l’environnement.
dd.com : Pensez-vous que l’écologie politique transcende le clivage droite-gauche ?
L. R. : Pas du tout. Et je pense que plus on avance, et plus on se rend compte que ce n’est pas le cas. Que la préoccupation environnementale irrigue maintenant l’ensemble des forces démocratiques, c’est une certitude. La droite l’a prouvé en ne restant pas muette sur le sujet. Cela dit, je ne crois pas que celle-ci transcende le clivage, qu’elle recompose le paysage politique français. La droite cherche à élaborer ce qui pourrait être une forme de « capitalisme vert », c’est-à-dire une reprise de tous les fondamentaux du capitalisme repeints en vert. La gauche, elle, tente de mettre en place un nouveau modèle de développement, la « social-écologie », ou « l’écologie sociale-politique », qui serait capable d’allier critique du capitalisme et redistribution des richesses.
La question environnementale est de toute façon trop liée à celle des inégalités pour être consensuelle entre la droite et la gauche. L’écologie politique suppose trois clés : la régulation, l’intervention publique, et la réduction des inégalités. Car les désastres environnementaux accroissent les inégalités entre les riches et les pauvres. Et le besoin d’investissements publics est contradictoire avec la politique menée par la droite. Une politique qui baisse les budgets et le nombre de fonctionnaires !
dd.com : Si le PS venait à rediriger le pays, quelle politique adopterait-il vis-à-vis du nucléaire ?
L. R. : Nous nous situons dans un horizon de limitation du recours au nucléaire. Nous voulons accroître le mix énergétique et la part des énergies renouvelables. Notre objectif : ni dépendance, ni interruption brutale. De toute façon, plus personne n’est en faveur d’une sortie rapide du nucléaire. Mais nous devons aussi réduire globalement nos consommations énergétiques. Ce qui suppose d’avoir un rapport à l’électricité moins addictif que celui que nous présente Nicolas Sarkozy : j’avais été très choquée que le Président de la république évite absolument la question de l’inclusion de l’électricité dans la taxe carbone. C’était une façon de dire : « les Français vont être taxés sur le pétrole mais il n’est pas grave qu’ils laissent la lumière allumée derrière eux ».
dd.com : L’idée du Grenelle de l’environnement, et son application, vous satisfont-elles ?
L. R. : Le Grenelle est pour l’instant une loi de programmation, qui a été adoptée quasiment à l’unanimité au Parlement. Les députés socialistes ont voté la loi d’intention. Maintenant, nous attendons avec intérêt, et impatience, la mise en œuvre du Grenelle 1 par le Grenelle 2. Et je vois beaucoup de contradictions : d’un côté, on a le Grenelle, et de l’autre, on a un Président et un ministre de l’Ecologie qui manient facilement l’émotion et l’intention. Je connais par exemple bon nombre d’associations qui sont en procès pour empêcher la construction de centrales thermiques. Et les moyens mis en œuvre sont parfois insuffisants, notamment ceux consacrés aux inspections des installations classées.
dd.com : Pouvez-vous nous donner votre définition personnelle du développement durable ?
L. R. : C’est un projet humain qui permet à tous d’accéder au développement et qui resitue l’homme dans un rapport à l’autre qui ne soit pas un rapport de toute puissance. C’est une autre façon de combattre les mécanismes de domination que l’homme a mis en place dans l’histoire des civilisations. Domination de l’homme sur d’autres hommes, mais aussi domination sur les richesses collectives. Le développement durable s’oppose à l’appropriation personnelle. C’est le contraire de ce qui caractérise le néo-capitalisme, celui de la rente, du court-terme, et de l’avidité.
Propos recueillis par Yann Cohignac sur Développement durable . com